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Rama - Un regard sur le racisme

Une interview canapé avec Rama, une femme forte et engagée, sur le racisme et la discrimination.



EMELINE: Quel est ton héritage ethnique ?

RAMA: Je suis sénégalaise à 100%, mes parents sont nés au Sénégal, mon père vient d’un village à la limite du Sénégal et de la Mauritanie, Dioudé Diabé. Ma mère, elle, est née à Dakar.


EMELINE: Toi, tu es née ici, au Québec ?

RAMA: Oui, je suis née à Montréal, mais plus jeune, je retournais au Sénégal à chaque été. Je connais très bien mon pays et je sais ce qui se passe là-bas.


EMELINE: Est ce qu’il y a une citation ou une phrase que tu te répètes, qui te donne de la force, de l’espoir ?

RAMA: Mon père m’a toujours dit : “ Tu dois toujours être meilleure que tout le monde”, c’est comme ça que je me visualise, que je sois à l’école ou au travail, j’essaie de m’impliquer au plus que je peux, car je sais qu’il faut que je me démarque des autres. Et j’utilise beaucoup cette phrase :“Un non c’est oui, mais ils ne le savent pas encore”. C’est souvent ce que je dis (rires) ! Parce que je suis toujours à fond de mes capacités et je vais leur montrer que je peux le faire et ce qui était un non, devient toujours un oui.


EMELINE: Quelle personne t’inspire le plus et pourquoi ?

RAMA: La personne qui m’inspire le plus, ça serait mon père à 100 % parce que son parcours est tellement incroyable que dans ma tête, c’est comme un film. Il est venu du Sénégal, d’un village qui n’avait pas d'électricité, ses parents étaient analphabètes et comme il n’y avait qu’une école, il allait étudier à Pikine. De là, il a réussi à rentrer dans un concours en France, il ne prenait que 12 personnes sur l’ensemble des candidatures et il a été pris !


EMELINE: C’est vrai que ça ressemble à l’histoire d’un film ! Il est parti de rien et s’est battu pour en arriver là où il est aujourd’hui.

RAMA: Oui, il a travaillé fort pour tout ce qu’il a et il est vraiment parti de rien. Et il a toujours redonné à sa communauté, quand je retourne au village, il y a toujours de nouvelles maisons, l’école a été refaite et c’est grâce à mon père, mes cousins et mes oncles.


EMELINE: Finalement tu es devenue une activiste tout comme ton père ?

RAMA: (Rires) Moi, je lui dis qu’il est un activiste, mais il me répond, “c’est la chose à faire” tout simplement (rires). Il est tout le temps en action et il a toujours aidé tout le monde. J'aimerais être comme lui, aider tout le monde et avoir un impact positif pour la communauté.


EMELINE: J’ai l’impression que ton père est très modeste.

RAMA: Oui, il est très modeste, mon père “doesn't talk about everything” (il ne parle pas de tout ce qu’il fait). Il va juste se réveiller un matin et te dire “Ah, au fait, j’ai fait ça” (rires). Il est vraiment une force tranquille.


 

Ton vécu du racisme au Québec

 

EMELINE: Quand t’es-tu rendue compte (ton plus vieux souvenir) qu’il avait une différence de traitement/attitudes entre les noirs et les blancs ?

RAMA: Quand je suis arrivée à l'école, j’ai vue que j’étais la seule noire dans ma classe, mais je n'étais pas traitée différemment. Le moment où j’ai été traitée différemment, c’est quand je suis arrivée avec des tresses à l’école. J’avais quelques mèches brunes dans mes tresses, c’étaient des extensions. Le directeur a dit “elle n’a pas le droit d’avoir ça”, “elle n’a pas le droit d’avoir des teintures”. Ma mère a dû couper mes cheveux là où il y avait des mèches. C’est à ce moment-là que j’ai vu qu’il y avait des différences.

Après plus tard, quand je suis rentrée au secondaire, j’ai vue qu’ils y avaient de grosses différences. Parce que mes profs présentaient des choses qui ne concordaient pas avec ce que j’avais vu au pays. J’avais un prof d’histoire qui ne nous présentait pas l’Afrique comme un continent, mais comme un seul et même pays, une même nation ! Il nous présentait des photos d’enfant dans le désert avec un mouton à côté d’eux en train de mourir (rires), alors oui il y a cette réalité-là, mais il n’y a pas que ça ! Il y a beaucoup d’autres choses à voir, je débattais avec eux et je passais pour une insolente (rires). Quand je disais mon opinion, au lieu de me laisser m’exprimer, ils me renfermer.


EMELINE: C’est vraiment un point intéressant dans l’éducation, dirais-tu que quand on enseigne l’histoire ou la géographie de l’Afrique, on met principalement en valeur la pauvreté et très rarement ses richesses, qu'elles soient culturelles, mais aussi économiques, ou autres ?

RAMA: Oui tout à fait ! Parce que si on montrait la vraie histoire du monde, il y aurait plus de perdants du côté des blancs, on va dire (rires). S'ils montrent la richesse que l’Afrique avait avant, comment ils ont tout pris en Afrique, comment ils l’ont colonisé, moi, je pense, qu’étant une enfant blanche, j’aurais été comme “c’est vraiment pas cool, je ne suis pas contente de ce qui s’est passé” et ça pourrait mener à d’autres révolutions.


EMELINE: Comment s’est passé ta 3eme année ?

RAMA: En secondaire 3, je donnais souvent mon avis en histoire, en géographie, même en maths (rires), car les professeurs sortent toujours de ce qu’ils doivent nous apprendre. Cette année-là, j’étais sur le bord de me faire renvoyer, mais en même temps, j’ai été nommée la personne avec la meilleure moyenne en science sur l’ensemble du cycle du secondaire (3, 4 et 5). Quelques profs me soutenaient, ils comprenaient ces choses-là et ils me supportaient beaucoup, c’est grâce à eux que j’ai pu rester.


EMELINE: Tu exprimais ton opinion seulement avec tes professeurs (rires) ?

RAMA: J’éduquais beaucoup aussi mes amis genre “guys, les rappeurs que vous écoutez, ils viennent de tel quartier où il y a tels problèmes, il faut que vous compreniez ça, vous ne pouvez pas continuer à chanter des chansons de même et continuer votre vie !” (rires)


EMELINE: Avec du recul, que penses-tu de ton parcours académique ?

RAMA: J’ai été très réprimée dans mon parcours académique, je suis contente d’être allée à cette école-là, c’est vraiment une bonne école, je pense que je ne serai pas rendue où je suis, si je n’avais pas été là-bas, mais ça été difficile … D'un autre côté j’ai appris à défendre mes opinions correctement, mes parents m’ont supporté dans tout ce que je disais.


EMELINE: Est-ce que tes sœurs ont eu des expériences scolaires similaires ?

RAMA: Oui, ma plus jeune sœur avait un cours d’histoire géographie sur le monde arabe et son professeur a décidé d’imiter de manière très irrespectueuse l’appel à la prière de la religion musulmane dans la classe. Elle est partie de la classe en pleurant.


EMELINE: Et ton père, a-t’il subi des actes racistes ou encore une injustice policière ?

RAMA: Oui, mon père a travaillé dix ans aux USA, une fois en Alabama, quelqu’un a écrit sur sa voiture à la clé le mot “Nègre”. Une autre fois, il s’est fait arrêter en sortant de la Mosquée parce que les policiers pensaient qu’il roulait sous influence ! Sérieusement, il sortait de la Mosquée (rires) ! Quand ils ont réalisé que ce n’était pas le cas, ils ont essayé de trouver d’autres excuses pour justifier son interpellation, mais ils l’ont finalement laissé partir.

Mon père s’est aussi fait arrêter à Rosemère (Québec), il conduisait une Porsche et il s’est fait arrêter par une agente de police. Elle lui a dit qu’il avait brûlé un stop, il y a 3 stops de ça. Mon père lui a alors demandé pourquoi elle ne l’avait pas arrêté plus tôt, elle lui a répondu qu’elle voulait voir quelles autres infractions il allait commettre. Mon père lui a dit que s’il était arrêté, c'était pour vérifier que la voiture était bien à lui et en effet, elle lui a répondu qu’il n’y avait pas de F sur sa voiture pour indiquer que c’était une voiture de location, puis en plus, c’est une Porsche…. Elle lui a demandé ce qu’il faisait dans la vie …. Il a pris le ticket et a décidé d’aller en cours parce que ça ne faisait pas de sens et il a gagné.


EMELINE: Et toi ? As tu déjà été profilé ici au Québec ?

RAMA: Moi-même, j’ai été profilé trois fois au Québec en voiture, à chaque fois, il me demandait à qui était l’auto que je conduisais (rires) ! Il y aussi mon cousin qui travaillent pour un concessionnaire Mercedes. Il ne peut même pas conduire comme il veut sa Mercedes parce qu’il se fait arrêter tout le temps et il dit: “ Est ce que je dois m’acheter une Honda ou une voiture cabossée pour ne pas me faire arrêter ?” (rires)


EMELINE: Que dirais-tu aux gens qui vivent ou ont vécu des expériences similaires aux tiennes, pour leur donner de l’espoir?

RAMA: Toujours dire ce que tu penses ! Parce que même si sur le moment, les gens n’écoutent pas, ils t’entendent ! Tu as planté une graine dans leur esprit. Certaines personnes ne vont pas changer, mais ceux qui sont autour vont t’écouter. Il faut travailler avec des gens qui ont les mêmes valeurs, pour qu’il n’y ait pas de problème de valeurs. Parce que ces problème-là sont impossibles à gérer. Et si tu vois quelque chose, dis-le, partage-le. Tu es dans une position d’éduquer. Les gens ne vont pas s’asseoir et se dire “ah oui, j’ai des privilèges blancs”, tu crois que quelqu’un va s’asseoir et y penser (rires)? Non quelqu’un d’autre doit venir et leur dire que sur certains points, ils ont plus d’opportunités que nous, donc oui, tu as un “white privilege”.


 

Racisme, définition et construction

 


EMELINE: Le Larousse définit le racisme comme une « idéologie fondée sur la croyance qu'il existe une hiérarchie entre les groupes humains, les « races » », à tes yeux est-ce une question de race ou de différence ?

RAMA: Il y a le mot race dans racisme, mais dès qu’il y a une différence il peut y avoir de la discrimination et ça se traduit comme quelqu’un qui veut avoir du pouvoir sur l’autre.


EMELINE: On entend de plus en plus dire que les blancs aussi, subissent des actes racistes, qu’en penses-tu ?

RAMA: Oui, j’entends beaucoup de gens qui me disent “oh mais il y a du racisme envers les blancs”. Pour moi, il n’y a pas de racisme envers les blancs, parce qu’il y a une hiérarchie (des races), il y a un pouvoir. Donc s’il y a un oppresseur qui a un pouvoir, c’est impossible pour les personnes oppressées d’avoir ce même pouvoir sur ce groupe là. Donc, ils ne peuvent pas être victimes du racisme, mais est ce qu’il peut avoir des commentaires négatifs envers les blancs, de la discrimination envers les blancs ? Oui, je suis pas mal sûre. Mais de dire qu’il y a un système qui ait mis en place pour oppresser les blancs, je ne suis pas d’accord.


EMELINE: On dit que le racisme n’est pas inné mais acquis, qu’en penses-tu ?

RAMA: Non c’est clair, on ne naît pas raciste, on le devient ! Je pense qu’il y a assez d’études qui viennent confirmer que le racisme est acquis. Le monde dans lequel tu évolues, tes expériences et à quoi t’es exposé te poussent à devenir raciste.


EMELINE: Une étude a mis en avant que dès l’âge de 4 ans, les enfants blancs et noirs manifestent des jugements racistes (conscient et inconscient) sur les enfants d’une autre couleur, est ce que cela te surprend?

RAMA: Non cela ne me surprend pas parce que les enfants apprennent très vite de leurs parents ou du milieu dans lequel ils évoluent (par exemple la garderie). Dans la mesure où un parent raciste ou non éduque son enfant, il va nécessairement adopter ce comportement. C’est quand même possible pour un enfant de grandir et de changer son mode de pensée suite à ses expériences scolaires ou parascolaires.


EMELINE: Selon toi le problème vient de l’éducation ?

RAMA: De l'éducation bien-sûr, mais aussi au fait d’avoir ou non la possibilité de l’exprimer. C’est-à-dire que l’on peut avoir des parents racistes, mais si l’enfant a la possibilité d’aller dans une école ou il y a des enfants de différents horizons, il ne pourra pas ou aura moins l’opportunité de répéter les phrases entendues à la maison. Mais par contre il aura la chance de pouvoir changer d’avis, parce qu’en fréquentant des enfants divers, il se rendra compte que ce qu’il a entendu est faux ou ne s’applique pas.


EMELINE: Comment pourrait-on changer cela, stopper le racisme ?

RAMA: Il faut des chiffres pour quantifier le problème, les chiffres, c’est la base.


EMELINE: Est ce que cela ne t’énerve pas de voir que certaines personnes ont besoin de chiffres pour comprendre ou encore réaliser qu’il y a un problème, alors que nous avons toutes ces preuves visuelles d’actes racistes ?

RAMA: Premièrement, n